Ñåìàíòè÷åñêèå òðàíñôîðìàöèè ôðàíöóçñêîé ëåêñèêè â ðóññêîì ÿçûêå

Àíàëèç ñåìàíòè÷åñêèõ ðàñõîæäåíèé ìåæäó ôðàíöóçñêèìè ñëîâàìè è ãàëëèöèçìàìè â ðóññêîì ÿçûêå, ñëîâàìè ôðàíöóçñêîãî ïðîèñõîæäåíèÿ. Ëåêñèêî-ñåìàíòè÷åñêèå ðàñõîæäåíèÿ, âûðàæàþùèåñÿ â ñóæåíèè, ðàñøèðåíèè èëè ïåðåíîñå ñìûñëà ãàëëèöèçìîâ â ðóññêîì ÿçûêå.

Ðóáðèêà Èíîñòðàííûå ÿçûêè è ÿçûêîçíàíèå
Âèä ñòàòüÿ
ßçûê ôðàíöóçñêèé
Äàòà äîáàâëåíèÿ 25.06.2021
Ðàçìåð ôàéëà 97,0 K

Îòïðàâèòü ñâîþ õîðîøóþ ðàáîòó â áàçó çíàíèé ïðîñòî. Èñïîëüçóéòå ôîðìó, ðàñïîëîæåííóþ íèæå

Ñòóäåíòû, àñïèðàíòû, ìîëîäûå ó÷åíûå, èñïîëüçóþùèå áàçó çíàíèé â ñâîåé ó÷åáå è ðàáîòå, áóäóò âàì î÷åíü áëàãîäàðíû.

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Transformations semantiques du lexique français en langue russe

Gerber J.

Strasbourg, France Tioumen, Russie

Abstract

Semantic transformations of French vocabulary in Russian langage

Gerber J.

Strasbourg, France Tyumen, Russia

This comparative linguistics article analyzes the semantic differences between French words and gallicisms in Russian, words of French origin that have the same meaning in both languages but whose meaning does not coincide. The study is interdisciplinary: it is at the intersection of comparative linguistics and literary analysis. The borrowing of words, as a source of reconstitution of the vocabulary of the language, is a productive method even nowadays. A parallel is established between semantic transformations and style figures, rhetorical processes that imply a gap between the signified and the signifier. The method used is a comparative analysis of the words and their meanings in French and Russian. It is supplemented by a historical and etymological approach including cultural aspects that further explain the context of semantic transformations. To carry out this work, institutional sources such as etymological dictionaries in both languages were used, in addition to «popular» sources. A classification and explanation of the lexico-semantic differences follows. Within this classification, special attention is paid to changes of connotation from French to Russian gallicisms, particurlarly to the link between semantic transformations and stylistic figures. This approach to the problem will be of interest to specialists in the field of lexicology and the comparative typology of these languages.

Keywords: French; Russian; false cognate; linguistic loan word; lexical gap; figure of speech; archaism

Àííîòàöèÿ

Æåðáåð Æ.

Ñòðàñáóðã, Ôðàíöèÿ Òþìåíü, Ðîññèÿ

Ñåìàíòè÷åñêèå òðàíñôîðìàöèè ôðàíöóçñêîé ëåêñèêè â ðóññêîì ÿçûêå

 äàííîé ðàáîòå àíàëèçèðóþòñÿ ñåìàíòè÷åñêèå ðàñõîæäåíèÿ ìåæäó ôðàíöóçñêèìè ñëîâàìè è ãàëëèöèçìàìè â ðóññêîì ÿçûêå, ñëîâàìè ôðàíöóçñêîãî ïðîèñõîæäåíèÿ, ñõîäíî çâó÷àùè - ôðàíöóçñêèé ÿçûê; ìè â îáîèõ ÿçûêàõ, íî íå ñîâïàäàþùèìè ïî çíà÷åíèþ. Èññëåäîâàíèå íîñèò ìåæäèñöèïëèíàðíûé ðóññêèé ÿçûê; ëîæ - õàðàêòåð, âûïîëíåíî íà ñòûêå ñîïîñòàâèòåëüíîé ëèíãâèñòèêè è ëèòåðàòóðíîãî àíàëèçà. Àêòóàëüíûé äðóã ïåðåâîä÷èíîñòü òåìû îáóñëîâëåíà òåì, ÷òî çàèìñòâîâàíèå, êàê îäèí èç èñòî÷íèêîâ ïîïîëíåíèÿ ñëîâàðíîãî êà; ÿçûêîâîé çàåì; ñîñòàâà ÿçûêà, îñòàåòñÿ ïðîäóêòèâíûì è ïî ñåé äåíü.  êà÷åñòâå îñíîâíîãî ìåòîäà èñïîëüçóåòñÿ ëåêñè÷åñêèé ðàçðûâ; ìåòîä ñðàâíèòåëüíîãî àíàëèçà çíà÷åíèé ñëîâ âî ôðàíöóçñêîì è ðóññêîì ÿçûêàõ. Îí äîïîëíÿåòñÿ ôèãóðà ðå÷è; àðõàèçì. èñòîðè÷åñêèì è ýòèìîëîãè÷åñêèì ïîäõîäîì, âêëþ÷àÿ íåêîòîðûå êóëüòóðíûå àñïåêòû, êîòîðûå ïîìîãàþò ïîíÿòü êîíòåêñòû ñåìàíòè÷åñêèõ ïðåîáðàçîâàíèé. Äëÿ âûïîëíåíèÿ ýòîé ðàáîòû èñïîëüçóþòñÿ èíñòèòóöèîíàëüíûå èñòî÷íèêè, òàêèå êàê ýòèìîëîãè÷åñêèå ñëîâàðè íà îáîèõ ÿçûêàõ, ïðè ýòîì ïðèâëåêàþòñÿ è «íàðîäíûå» èñòî÷íèêè.  äàííîé ðàáîòå àâòîð ïðåäïðèíèìàåò ïîïûòêó êëàññèôèöèðîâàòü è îáúÿñíèòü ëåêñèêî-ñåìàíòè÷åñêèå ðàñõîæäåíèÿ, âûðàæàþùèåñÿ â ñóæåíèè, ðàñøèðåíèè èëè ïåðåíîñå ñìûñëà ãàëëèöèçìîâ â ðóññêîì ÿçûêå. Ñ ýòîé öåëüþ â ðàáîòå çíà÷èòåëüíîå âíèìàíèå óäåëÿåòñÿ óñòàíîâëåíèþ ñîîòâåòñòâèÿ ìåæäó ñåìàíòè÷åñêèìè òðàíñôîðìàöèÿìè è ñòèëèñòè÷åñêèìè ôèãóðàìè (òðîïàìè).  ñòàòüå îáîáùåí íîâûé ìàòåðèàë ïî èññëåäóåìîé òåìå, òàêîé âçãëÿä íà ïðîáëåìó áóäåò èíòåðåñåí ñïåöèàëèñòàì â îáëàñòè ëåêñèêîëîãèè è ñðàâíèòåëüíîé òèïîëîãèè óêàçàííûõ ÿçûêîâ.

Êëþ÷åâûå ñëîâà: ôðàíöóçñêèé ÿçûê; ðóññêèé ÿçûê; ëîæíûé äðóã ïåðåâîä÷èêà; ÿçûêîâîé çàåì; ëåêñè÷åñêèé ðàçðûâ; ôèãóðà ðå÷è; àðõàèçì

Partie principale

ãàëëèöèçì ôðàíöóçñêèé ðóññêèé ñåìàíòè÷åñêèé

Si la plupart des nombreux mots d'origine française en russe ont été relativement bien conservés ou simplement altérés phonétiquement, d'autres ont complètement changé de sens. Pour comprendre les processus par lesquels cette assimilation linguistique s'est effectuée, il faut s'appuyer sur le concept de signe linguistique développé par Ferdinand de Saussure, qui comprend le signifiant - sons, mots écrits, lettres qui servent à évoquer la chose dont on parle - et le signifié - l'idée que l'on se fait de la chose en lisant le mot. L'article qui va suivre montre que les mots d'origine française en russe voient bien souvent leur `signi

fiant' se séparer de leur `signifié' originel, ce qui provoque une différence entre la langue prêteuse (source) et la langue emprunteuse (cible). Les mots résultants de ce phénomène sont appelés «faux-amis», selon l'expression créée par Kœssler en 1928, ou encore `écarts lexicaux'. Le Dictionnaire de la linguistique de G. Mounin donne la définition suivante: «mots d'étymologie et de forme semblables, mais de sens partiellement ou totalement différents. […] Et également des associations de mots trop exclusifs, dues à une association trop fréquente par la traduction» [Mounin 1999]. Si l'étude des faux-amis implique nécessairement de surplomber deux (ou plus) espaces linguistiques, en revanche pour parler d'emprunts linguistiques, il faut se placer du point de vue de la langue de réception (ici, le russe): nous alternerons ces deux angles d'approche.

Le linguiste canadien Pierre Martel [Martel 2006: 845864] a schématisé ces écarts lexicaux à propos du rapport entre le français et le québécois Schéma inspiré de celui de Pierre Martel, disponible sur : www.lin- guistes.com/mots/variation.html (1998) [consulté le 10.05.19].:

Ce schéma est applicable au russe à condition de procéder à quelques ajustements. La présence d'un mot français dans une autre langue s'appelle un `gallicisme'. Les écarts lexicaux se divisent en deux groupes: les gallicismes originaires du fond français, ou `conservatismes', et les gallicismes créés sur le territoire étranger, ou `innovations'. Parmi les gallicismes du fond français, on trouve:

• les `archaïsmes': ce sont des formes lexicales anciennes, disparues ou en voie de disparition dans le français moderne, mais encore usitées en Russie.

• les `dialectalismes `: des unités lexicales originaires de certains parlers régionaux qui sont répandues en Russie dans le langage courant mais pas usitées dans le français standard.

En ce qui concerne les innovations, on peut y ranger:

• les `créations' ou néologismes, c'est-à-dire des mots inventés sur le territoire russe mais présentant une forte ressemblance avec le français.

• les `emprunts', qui sont des formes lexicales anciennes ou récentes, originaires du français et intégrées à l'usage linguistique des locuteurs russes avec ou sans adaptation phonétique, graphique, morphologique, syntaxique. Il existe trois types d'emprunts lexicaux: emprunt intégral, emprunt hybride et faux-emprunt [Loubier 2001: 11-16]. Ce sont surtout les deux derniers types d'emprunts qui nous intéressent ici: l'emprunt hybride est un emprunt de sens, la forme n'étant que partiellement empruntée; le faux-emprunt résulte d'un emprunt limité à la forme, le sens restant le même.

L'oeil du linguiste peut, schéma à l'appui, élaborer un système qui régirait toute ce foisonnement linguistique afin de s'en faire une représentation mentale. Toutefois, si nous voulons l'utiliser, c'est au service d'une interprétation personnelle des écarts lexicaux du français au russe, car l'oeil du philologue, lui, peut s'amuser à percevoir les deux langues comme deux textes à comparer. Imaginons qu'un `grand auteur' inspiré ait considéré ces deux champs linguistiques et favorisé la fécondation de l'un par l'autre, comme le fait un spécialiste de littérature comparée. Cette `force' qui jongle avec nos mots et nos représentations utiliserait comme instrument principal la métonymie, figure de style qui remplace un concept par un autre avec lequel il a un rapport logique sous-entendu.

L'article adopte à la fois le point de vue du philologue et celui du linguiste puisqu'il met en relation les processus d'assimilation d'une langue par l'autre avec les procédés stylistiques. Nous nous proposons de dresser une typologie des transformations sémantiques subies par les substantifs français empruntés par le russe. Chaque sous-partie correspond à un procédé stylistique: la métonymie, l'antiphrase, l'euphémisme et les archaïsmes, qui seront explorés selon un classement thématique.

1) Déclinaisons de la métonymie

La métonymie nous entoure en permanence, c'est pourquoi les types de relations métonymiques sont très nombreux, cependant on peut distinguer parmi les plus courants:

a) La matière pour l'objet: `Viens boire un verre.'

b) Une partie pour le tout (synecdoque): `Une voile vogue à l'horizon.'

c) L'espèce pour l'individu (antonomase): `Le Chinois mange son riz avec des baguettes.'

d) Le lieu d'origine pour le produit: `Voilà un bon camembert.'

e) Le singulier pour le pluriel: `Elle a le cheveu fragile.'

f) L'instrument pour l'agent: `Mon père est une sacrée fourchette.'

g) La conséquence pour la cause (métalepse): `Il a perdu sa langue' (la parole)

Chacun de ces types peut être appliqué à un cas ou plusieurs cas linguistiques.

a) La matière pour l'objet

Il arrive que le russe utilise les qualités d'un objet pour désigner cet objet en soi: il peut s'agir de la forme, de la matière ou de n'importe quel autre caractéristique. Ainsi, notre baguette s'appelle en russe áàòîí' (baton), sans doute par assimilation de sa forme avec un bâton. Le mot `áàãåò' (bagièf) existe en russe mais il désigne tout autre chose: les différents éléments d'un cadre en bois, comme en français. Prenons encore en guise d'exemple le mot `öèëèíäð' (cilindr), bien que ce mot russe vienne de l'allemand Zylinder, et lui-même du latin `cylindrus': il désigne en russe un haut-de-forme, chapeau qui prend effectivement la forme de cette figure géométrique Mentionnons au passage le ` øàïîêëÿê ' (chapakliak), chapeau- claque : un bel exemple d'emprunt intégral, à tel point qu'il est devenu le nom d'un personnage du dessin animé soviétique ×åáóðàøêà (Cebumcka).. Enfin, le `diamant' se dit `áðèëëèàíò' (bril'ânf), alors que le substantif `brillant' en français désigne non pas le diamant en soi, mais un type de taille qui rend le diamant brillant - il est vrai qu'en français, le mot a fini par désigner le diamant lui-même taillé de cette façon. Nous voyons que les éléments qui caractérisent l'objet servent de nom à l'objet lui-même.

b) La partie pour le tout (synecdoque)

Pour avoir une `synecdoque' au sens strict, il faut deux mots pour un concept. Par exemple, la voile + le bateau = le bateau, puisque ces deux termes désignent la même chose. Ici, nous avons au contraire un mot pour deux concepts, donc on ne peut pas parler de `synecdoque' au sens strict. Cependant, on peut s'inspirer du mouvement de la synecdoque, dans laquelle la `réduction' du nom de l'objet pro-

voque une augmentation du sens. En élargissant la catégorie de la synecdoque de cette façon, on peut y inclure l'extension et l'enrichissement du sens (l'élément pour l'ensemble), ou encore l'augmentation de la qualité (du grade, de l'importance). Cette catégorie est donc à considérer par rapport au mot `manquant' référent dans la langue française.

En russe, une cage pour n'importe quel animal se dit `âîëüåð' (vol'er), qui évoque bien sûr le français `volière'.

Le substantif `volier' est en quelque sorte la synecdoque du mot `cage', dont elle n'est qu'un élément et qu'elle a finalement remplacé. Le `ïîðòôåëü' (portfel') est un porte-documents, et non pas un portefeuille comme il pourrait sembler. On peut dire que le portefeuille monte en grade, il devient un objet plus gros, plus important.

Le `êîíäóêòîð' (konduktor) est un contrôleur de tickets dans les bus: on obtient une réduction du statut de `conducteur' qui vient se nicher dans une profession auxiliaire sans rapport avec le sujet; pas de synecdoque à proprement parler, car le contrôleur n'est pas une partie du conducteur, en revanche le contrôleur est une partie de l'organisme qu'est le `bus'.

Subir une `èíñóëüò' (insul't) en russe veut dire être victime non d'une insulte, mais d'une `attaque cérébrale'. Le mot `insulte' vient du latin' insultus' qui veut dire `coup, attaque'. Ainsi l'idée originelle de brutalité s'est-elle conservée de deux manières différentes: en russe, le mot est concret, lié à la santé physique; en français, le mot désigne une réalité abstraite, qui est la charge émotionnelle d'une parole. Passons maintenant au processus inverse, qui consiste à considérer le tout pour la partie.

c) Le tout pour la partie, la réduction, l'espèce pour l'individu (antonomase)

Il existe un rapport inattendu entre les mots `chanson', `champignon', `dispute', `mouton' et `maniaque': ces cinq termes, génériques en français, désignent un type particulier en russe. Ce que l'on appelle ici `antonomase', c'est la réduction du sens d'un mot: de grand en français, il est devenu petit en russe.

Dans les années 1930, les concerts de Charles Trenet à Moscou connaissent un grand succès, et le mot `øàíñîí' (sanson) commence à se répandre dans le pays. Mais à partir des années 1990, ce mot ne désigne pas la même chose en Russie que chez nous: il est alors utilisé comme euphémisme pour désigner un genre musical proprement russe, lié à l'univers de la prison, la `áëàòíàÿ ïåñíÿ' (blatnaâ pesnâ) qui se caractérise par l'emploi de jargon, de jurons et d'images grossières, sa source d'inspiration principale étant l'univers du crime. Il s'agit d'un mélange particulier d'humour et de mélancolie. Aujourd'hui, le mot a plus ou moins perdu cet univers référentiel de la prison.

En ce qui concerne le `champignon', le mot le `øàìïèíüîí' (sampin'on) désigne précisément le champignon de Paris, alors qu'un autre mot d'origine slave (» ãðèá', grib) désigne le champignon comme catégorie générale.

S'agissant de la `dispute', ce mot importé en russe (» äèñïóò', disput) sous Pierre le Grand désigne non pas un conflit mais un débat argumenté, une discussion publique. C'était aussi le cas à l'origine en français: en didactique, la dispute était un domaine de l'activité intellectuelle qui consistait en un échange parfois philosophique (scolastiques ou théologiques) d'arguments contradictoires sur un sujet donné, dans un cadre universitaire par exemple. Le sens usuel aujourd'hui en France est strictement péjoratif, et la `dispute' n'est, hélas, pas vraiment un outil de développement intellectuel. L'étymologie donne raison au russe puisque le latin `dis-putare' signifie `penser de manière différente, exprimer une autre opinion `.

Le `ìóòîí' (mouton) désigne en russe un manteau en laine de mouton. Ainsi, le mouton en Russie s'est réduit à une partie de lui-même, à sa fonction primordiale qui consiste à produire de la laine. Le sens lui-même a, pour ainsi dire, rétréci.

Enfin, trichons un peu et appliquons le même procédé à partir d'une autre langue-source: le grec. En grec, le substantif `pavia' (mania: `rage, fureur') a donné `maniacus' en latin; en français et en russe, il a donné des mots identiques. Le nom `ìàíüÿê' (man'âk) en russe désigne un obsédé ou un pervers sexuel. Différents dictionnaires français/ russe traduisent simplement le mot russe par `maniaque', mais c'est ne pas tenir compte du fait qu'en français, ce mot recouvre une large gamme de déviances mentales: il peut s'agir d'une personne atteinte de manie, mais aussi tout simplement de quelqu'un qui a des goûts ou des passions bizarres. Il faut dire que ces définitions littérales ne nous aident pas beaucoup: il est plus intéressant pour nous de parler des associations mentales liées à ces mots. Dans la majorité des cas, un Russe lorsqu'il dit `man'âk', pense à un pervers sexuel alors que pour le Français, le sens est minoré: le maniaque est pour lui, la plupart du temps, un obsédé de l'ordre et de la propreté.

Dans le même ordre d'idée, prenons le mot `anecdote': en russe, une `àíåêäîò' (anekdot) est une plaisanterie. Elle répond donc à des critères formels à peu près définis: concision, rapidité de l'action, chute amusante. Il existe un autre mot slave pour dire `blague' (» øóòêà', sutka), laquelle peut prendre n'importe quelle forme… Comme si une histoire structurée exigeait un mot français, tandis que l'espace de liberté était réservé à un mot slave.

d) Le nom du lieu d'origine pour le produit

La glace Plombières, du nom de la ville de Plombières - les-bains où ce dessert a été inventé en 1822 par le premier chef cuisinier-pâtissier de notre histoire, désigne un entremet glacé aux oeufs et fruits confits. Aujourd'hui, dans les magasins russes, n'importe quelle glace à la vanille sera estampillée `ïëîìáèð' (plombir). La version `traditionnelle', c'est-à-dire soviétique, est une sorte de saucisson blanc d'une contenance de 1 litre. Si ce dessert est particulier et assez peu répandu chez nous, son nom connaît une forte prospérité en Russie, bien qu'il désigne une réalité altérée - à tout le moins très simplifiée.

Dans le même registre, on peut se demander pourquoi une flûte à champagne se dit `ôóæåð' (fuzer). Le rapport entre un verre à la forme délicate et cette plante foisonnante familière de nos forêts paraît improbable. L'explication est la suivante: la ville de Fougères en Bretagne était connue pour son travail du verre, dont la technique a été importée par des verriers italiens à la fin du XVIe siècle. Cette industrie s'est particulièrement développée avec la création de la cristallerie de Fougères en 1921. Depuis elle a fermée, mais elle était l'une des dernières en France, et l'on y soufflait encore le verre à la bouche. La fusion du sable s'obtient à très haute température, donc à grand renfort de bois, mais la cendre de fougères, incorporées dans la pâte de verre, a la propriété de lui permettre de fondre à des températures plus basses. Par métonymie, les verres à boire issus de cette cristallerie réputée ont été nommés d'après le nom de la plante, puis le mot `fuzer' a été importé en Russie dès le XIXe siècle en même temps que les verres ainsi désignés [Allain 2001]. Cet emprunt pourrait être rangé dans les catégorie des faux amis culturels [Kiss 2002], dans la mesure où les deux mots désignent diverses parties de la réalité dans les deux cultures. La particularité est que ce fait culturel d'origine française a été oublié par les Français eux-mêmes.

La gaze, cette espèce de mousseline souvent utilisée en médecine, se dit en russe `ìàðëÿ' (maria). D'après Vasmer, le mot serait un emprunt du français marli, qui veut dire `mousseline' à la fin du XIXe siècle. Une autre source Forum russophone sur l'étymologie Trworkshop, disponible sur : www.trworkshop.net/forum/viewtopic.php?f=55&t=i8i42 [consulté le 30/02/2019]. affirme que le nom viendrait de la ville de Marly-le-Roi (située près de Paris) dans laquelle on aurait pour la première fois confectionné ce tissu. Cette ville ne revendique pourtant pas spécialement cette découverte, et nul ne semble en France s'intéresser à cette question - d'autant plus que ce mot, s'il a existé autrefois, s'est complètement perdu au profit du substantif `gaze'.

Une variante de cette métonymie serait l'utilisation du nom de famille pour le produit, suivant le même procédé qui a rendu immortels messieurs Sandwich, Braille, Montgolfier et tant d'autres. Le `ãàëèôå' (galife) désigne un pantalon de cavalier moulant les mollets, très évasé au-dessus du genou. Le mot nous vient du général Gaston Alexandre Auguste de Galliffet (1830-1909), devenu ministre de la Guerre dans le gouvernement de Waldeck-Rousseau, qui aurait instauré ces pantalons pour ses soldats.

e) Le singulier pour le pluriel

Dans cette catégorie sont considérés le passage du singulier au pluriel ou inversement, mais également toute modification grammaticale ou syntaxique.

Parfois, la langue russe a emprunté un morceau d'expression sans en prendre la totalité. C'est le cas du terme `ôîðñ-ìàæîð' (fors-mazor). Notre `cas de force majeure', souvent réservé au domaine du droit, devient tout simplement en russe un substantif: avoir un `fors-mazor `signifie subir un événement (aussi futile soit-il) ou un état qui nous empêche de faire ce qui était prévu. C'est également le cas de la tournure `avoir une sensation de déjà-vu' qui se simplifie en russe dans `ó êîãî-òî åñòü äåæàâþ' (dezavû): «quelqu'un a un déjà-vu». Voilà un exemple d'emprunt hybride, dans lequel le sens est identique mais la forme diffère.

On peut également mentionner le processus de substantivation, c'est-à-dire l'utilisation d'un verbe (français) à la place d'un nom (russe). Au sein même du français, le procédé est courant: songeons aux substantifs' passant', `déjeuner', `venue'. De la même manière, de nombreux verbes français sont devenus des noms en russe. Ainsi, dans les restaurants russes, le `ãàðíèð' (garnir) désigne les légumes ou féculents qui ont pour fonction de `garnir' la viande ou le poisson, autrement dit d'accompagner. Le verbe `s'orienter' a donné en russe `îðèåíòèð' (orientir), qui signifie `repères'. Le substantif `ñîðòèð' (sortir) signifie `toilettes', bien évidemment, du verbe `sortir'.

f) L'instrument pour l'agent

Il est courant en français de désigner l'agent par l'instrument avec lequel il agit. Si `être une bonne fourchette' signifie avoir bon appétit, en russe le mot `ôóðøåò' (ôóðøåò) signifie `banquet'. Le `áóôåò' (bufet) signifie `restaurant'. Certes, dans ce cas de figure, ce n'est pas strictement l'instrument qui joue le rôle de l'agent, mais plutôt l'instrument qui joue le rôle de l'endroit qui lui donne sa fonction. En russe, on appelle `êðþøîí' (krûson) un mélange de vin blanc avec de la liqueur ou une boisson rafraîchissante à base de fruits [Vasmer 1996]. C'est là le contenu du mot français «cruchon», terme désuet désignant une petite cruche. La métonymie produite par le russe, à savoir ne nommer que le contenant (sans préciser `de vin, d'eau…') pour désigner le contenu, n'est pas attestée dans les dictionnaires français et relève donc d'une création locale.

g) La conséquence pour la cause (métalepse)

Le mot `àçàðò' (azart) signifie en russe: audace, entrain, passion. Le rapport entre le hasard et l'audace est lointain mais compréhensible quand on sait que le mot français `hasard' vient de l'espagnol (lui-même de l'arabe) `azar' qui veut dire `jeu d'osselets'. Gagner ou perdre au jeu, c'est une question de hasard, or le jeu suscite une frénésie particulière. Nous donc avons là un bel exemple de métalepse, puisque l'effet du jeu de hasard, l'excitation, est considérée comme le mot principal, tandis que le jeu de `hasard', qui est la cause de l'effet, perd sa signification originelle.

L'inverse peut également être observé quand le mot issu du français prend, en russe, l'idée de la conséquence pour la cause. Ainsi le `lazaret' désigne-t-il une léproserie, un mouroir - du nom de Lazare, le' pauvre Lazare couvert d'ulcères', dans la parabole de Jésus issue de l'Évangile de Luc. Or, en russe, le `ëàçàðåò' (lazaret) est simplement une infirmerie militaire. Dans ces deux exemples, le signifiant est conservé, mais pas le signifié.

2) Antiphrase: miroir inversé

Il est fréquent que le russe s'écarte légèrement du sens d'origine parce qu'il a privilégié l'une des connotations dans l'ensemble des sens figurés existants. Dans certains cas, cela nous mène à l'antithèse exacte du mot français, dans le sens positif ou négatif.

Ainsi, le `pédant' français, personnage irritant, devient en russe avec le mot `ïåäàíò' (pedant) une personne très polie, qui sait rester dans la bonne mesure: le substantif a pris une connotation méliorative. À l'inverse, notre indispensable `politesse' devient en Russie une `ïîëèòåñ' (po - lites) surfaite, excessive; elle est plus proche de l'hypocrisie que de la courtoisie. On pourrait retrouver cette connotation péjorative en français dans le pluriel `faire des politesses', en faire trop. Dans le même esprit, le mot `êóðàæ' (kuraz) peut être négatif en russe: selon le contexte il signifie soit `bravoure', soit `témérité, arrogance, désinvolture `.

Enfin, l'adverbe `íîðìàëüíî' (normal'no) a de quoi étonner un Français puisque le terme ne signifie pas `banal' ou `ordinaire', mais il exprime une appréciation positive comme l'admiration ou l'enthousiasme. L'adverbe devient mélioratif par un effet d'euphémisation dont le russe est friand. De la même manière que `íè÷åãî' (nicevo) `rien', signifie `très bien' ou `très beau', par exemple dans l'expression `Îí íè÷åãî' (» il est attirant»).

En français, une `occasion' désigne une circonstance favorable, un temps propice, ce qui correspond à la signification du latin `occasio'. Les lexicographes Ozhegov et Efremova avancent que le mot `îêàçèÿ' (okaziâ) désigne en russe un événement soit opportun, soit inopiné [Ozhegov 1992; Efremova 2000]. Dahl, quant à lui, note que le mot peut désigner un événement heureux ou malheureux et en donne l'emploi suivant: `Âîò îêàçèÿ: ìîñò ïðîâàëèëñÿ!' (» Quel malheur: le pont s'est écroulé!'). Dahl suppose que cette connotation résulte d'une ressemblance phonétique avec le verbe russe `îêàçàòü' qui signifie `tomber, se trouver' [Dahl 2001].

Parfois, sans aller jusqu'à l'antithèse proprement dite, c'est simplement l'appréciation (morale) qui peut varier entre le russe et le français, souvent dans le sens d'une valeur péjorative pour le mot emprunté. Ainsi, le mot `bande' au sens d'un groupe de personnes désigne en russe (» áàíäà', banda) un gang de bandits, de voleurs ou de trafiquants. Considérons ensuite le mot `àôåðà' (afera), qui désigne une spéculation douteuse, une affaire louche, par opposition à notre `affaire' parfaitement neutre. Notre `débauche' perd sa connotation érotique (mais non sa charge négative) en russe, où `äåáîø' (debos) signifie simplement `tapage, esclandre'. Ces deux mots relativement éloignés par leur sens peuvent encore être unis par l'idée de scandale.

3) Euphémisme

L'euphémisme est une figure de style qui consiste à dire peu pour exprimer beaucoup, ce qui produit un effet d'atténuation. On peut ranger sous cette catégorie les mots dont l'origine (langues turques ou allemand) est camouflée par une apparence (un enchaînement de sons) considérée comme `française'. Parfois, à la suite d'intégration, l'orthographe a évoluée jusqu'à évoquer le français, puis le sens français s'est lui aussi mêlé au support existant en russe, par effet de contamination pourrait-on dire, d'où ces mots hybrides.

C'est le cas du substantif `ìàðàôåò' (marafet) qui signifie `ménage, remise en ordre' ou encore `maquillage', dans l'expression `íàâåñòè ìàðàôåò'. Ce mot vient du turc `marifet' qui veut dire `habileté, savoir-faire, connaissance' [Vasmer 1996: 572]. Cependant, une autre source issue d'un forum en ligne Forum Otvet, disponible sur : otvet.mail.ru/question/22041017 [consulté le 13/05/2019]. indique que le mot viendrait du français `maroufler', donc `coller' (du papier sur un mur, par exemple), d'où l'idée de renouveau, de fraîcheur. Mais l'histoire ne s'arrête pas là: `ìàðàôåò' est aussi un autre nom donné à la cocaïne en jargon russe, peut-être par analogie avec le mot `marfa' qui veut dire `morphine'.

L'expression familière `îí íè áåëüìåñà íå ïîíèìàåò' (ni bel'mesa ne ponimaet) signifie `il ne comprend rien', évoque bien entendu l'expression française `belle messe'. Ce parallèle est égalemet fait par de nombreux internautes russes s'adonnant, avec plus ou moins de bonheur, à l'étymologie, sans qu'ils avancent pour autant une explication quant à l'utilisation de ce terme. S'agirait-il d'un héritage de l'époque où la messe, qu'elle soit en latin ou en slavon, était incompréhensible pour le premier venu? Peu importe, puisqu'il s'agit d'un effet d' euphémisme: en effet, ce mot vient du tatare `bilmäs', forme négative du verbe `bilmäk', qui signifie `savoir'; ainsi, le terme signifie `il ne sait pas'. On peut imaginer comment le mot a été entendu et réinterprété, puis déguisé en français par homophonie.

L'insulte `øàíòðàïà' (santrapa) signifie `canaille, scélérat': le mot ressemble curieusement au français `(ne) chantera pas', ce que n'ont pas manqué de souligner des étymologistes en herbe sur certains forums russophones. Selon la légende qui circule, Chantrapa était le surnom d'un gouvernant français qui travaillait pour une famille noble, et dont le rôle était d'enseigner la musique aux enfants. Afin de ne pas gaspiller ses forces, le gouvernant paresseux jouait quelques notes puis déclarait dès les premières mesures entamées par l'enfant qu'il était impropre au chant, `pas d'oreille, chantera pas!'. À force de prononcer tous les jours la même phrase, il a hérité de ce sobriquet. C'est ainsi que le surnom serait devenu un substantif pour désigner une personne peu digne de confiance. D'après une source plus fiable, le dictionnaire étymologique de Vasmer, ce mot viendrait de l'allemand `Santrocke' qui signifie `tromperie [Vasmer 1996: 405]'.

4) Archaïsmes

Le russe a conservé un certain nombre de mots français aujourd'hui obsolète en France, de la même manière que le québécois. Ainsi, s'intéresser à la langue russe revient à pratiquer l'archéologie linguistique. Ces archaïsmes sont classés de manière thématique pour plus de commodité.

a) Vêtements et accessoires

Commençons par les pieds: pompes, grolles, savates, godasses, godillots… Parmi l'éventail des termes argotique, celui qui s'est immiscé dans le russe, c'est la galoche: `êàëîøè' (kalosi), sans pour autant avoir la connotation familière que nous lui connaissons.

Le pluriel de `pantalons' a été conservé en russe, à la différence du français. Dans le même registre, les `êàëüñîíû' (kal'sony) désignent des sous-vêtements pour hommes, à l'image des `caleçons longs' au pluriel de nos grands-parents. Le `òðèêî' (triko) est un pantalon long avec des élastiques aux pieds, concept étranger à l'homme contemporain, et le `òðèêîòàæ' (trikotaz) désigne un vêtement quel qu'il soit, même sorti d'une usine, là où le terme `tricotage' est en français strictement réservé à l'ouvrage de tricot. Le mot `paletot', devenu assez rare en français, désigne spécifiquement une veste d'homme boutonnée par devant, à poches plaquées, généralement assez courte, que l'on porte sur les autres vêtements. En russe, le mot `ïàëüòî' (pal'to) est courant et désigne un manteau de demi-saison pour homme ou femme. D'autre part, évoquons la `ôàñîí' (fason) qui désigne la coupe ou le modèle d'un vêment, alors que la `façon' désigne le travail de l'ouvrier qui a produit quelque chose, mais ce mot est obsolète: on n'en trouve guère la trace que dans les mots `malfaçon' ou `contrefaçon'.

Dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, il était d'usage chez les dames de France d'ajouter à la coiffure un postiche appellé `chignon', avant que ce mot ne finisse par désigner la coiffure en soi. Aujourd'hui encore en Russie, le `øèíüîí' (sin'on) désigne une perruque. À propos de coiffure, on peut encore mentionner, malgré sa rareté, le `ôàíüæîí' (fan'zon) qui désigne un foulard féminin pour les cheveux: ce mot vient de Fanchon, forme hypocoristique du prénom Françoise À propos de manteau, bien qu'il ne s'agisse pas d'un archaïsme, on peut soumettre au lecteur deux autres cas intéressants : la redin-gote est à la mode au XIXe siècle en Russie, mais elle s'appelle à l'époque ` ñþðòóê ' (cûrtufc). Son origine française est attestée, mais difficile de dire s'il s'agit d'une incompréhension de l'adverbe ` surtout ' ou d'un amalgame logique des mots ` sur tout ', la redingote se mettant ` sur tout ' le reste. Quant au français, il a choisi une variante légèrement différente avec le mot ` pardessus ', qui se porte justement ` par-dessus ' la redingote. Enfin, la ` òóæóðêà ' (tuzurka), manteau léger de demi-saison sans manche plu-tôt utilisé à la campagne, pratique en toute circonstance, dont le nom est bien sûr dérivé de l'adverbe ` toujours ' assorti du fameux suffixe diminutif russe ` -ka '., prénom certes répandu chez les paysannes [Vasmer 1996: 185].

Poursuivons nos prospections avec le surprenant mot `ðèäèêþëü' (ridikûl'), qui désigne un petit sac. Vasmer indique que ce mot est issu du français `ridicule', mais également du latin `réticulum' qui signifie `petite chaîne' [Vasmer 1996: 482]. Il paraît étrange que ces deux explications coexistent. D'après nos premières hypothèses, l'apparition des premiers petits sacs à mains chez les artistocrates russes les rendaient maladroites et ainsi accoutrées, elles prêtaient à rire. Ou encore, le facteur commun entre un sac et quelque chose dont on peut se moquer serait la `petitesse', au sens propre comme au figuré. Le suffixe `- cule' après le verbe latin `ridere' (rire) a valeur de diminitif car ce qui est ridicule doit être rabaissé: l'objet ridicule est donc petit, aussi petit qu'un petit sac à main. Pourtant la véritable explication est qu'en France aussi, il y a deux siècles, le ridicule désignait un sac à main. Il s'agit d'une évolution du mot `réticule', la résille servant, à l'Antiquité, à retenir les cheveux des femmes. De là l'emploi de ce mot pour une sorte de sac à main en filet à mailles. Le mailles s'en vont, mais le mot reste pour désigner un sachet en tissu brodé muni d'un fermoir pour mettre le maquillage, l'équivalent de nos poches actuelles. Cette pochette est attachée à la hanche sous les jupons, mais lorsque la mode des modèles épurés fait son apparition en en 1790, la poche se tient à la main, et le sac à main voit le jour. Coïncidence, ces premiers sacs sont justement moqués par la presse de l'époque qui les qualifie de `ridicules' parce qu'ils mettent en avant ce qu'il convenait jusque-là de porter en-dessous.

En Russie aujourd'hui, le mot `áðåëîê' (brelok) signifie `porte-clefs'. Au XVIIe siècle en France, le mot `breloque' désigne un `menu bijou qui pend à une chaîne, à un ruban', par exemple un quolifichet qu'on accroche sur une montre à gousset.

Un `áèíîêëü' (binokl') désigne en russe `une paire de jumelles'. Le mot français issu du latin `binoculus' formé de `bini' (deux) et `oculus' (yeux), a été inventé au XVIIe siècle, en même temps que l'objet qu'il désigne, par un physicien né en Bohème pour désigner la lunette astronomique binoculaire qu'il avait inventée sur le modèle du `monocle' (ou encore longue-vue, téléscope). Par la suite, le terme est apparu en français. Au XIXe siècle, moment où le russe nous a selon toute vraisemblance emprunté ce terme, la `binocle' au sens français diffère de la jumelle puisqu'elle ne présente qu'un verre à chaque oeil, alors que la jumelle présente une lorgnette à chaque oeil. Là encore, le russe a conservé le sens originel, contrairement au français.

Pour conclure cet encart sur la mode vestimentaire en Russie, l'adjectif `øèêàðíûé' (sikarnyj) signifie `élégant mais c'est surtout l'adverbe sous forme d'interjection' øèêàðíî!' (sikarno): `génial, super', qui a le vent en poupe. Il est dérivé de l'adjectif `chic' qui, dans l'argot des peintres de la fin du XVIIIe siècle, désigne `une manière artificielle, conventionnelle, de dessiner' selon le CNRTL, et est péjoratif. Il s'agit d'un emprunt à l'allemand `Schick' (déverbal du verbe `schicken': `arranger, préparer', ou encore `manière, bon ordre, ce qui convient', attesté en Allemagne du Sud). Le mot a sans doute été introduit en France par des Alsaciens. Dans la première moitié du XIXe siècle, appliqué à une personne, l'adjectif chic (ou `chique') désigne une élégance affectée, une volonté d'être original. Il prend ensuite le sens de `grande habileté à faire quelque chose'. En tant qu'adjectif, à propos d'un lieu, `chic' signifie `élégant'; en parlant d'une personne, `généreux, sympathique, subtil'. À la fin du XIXe siècle, on peut trouver des occurences de son dérivé `chicard': c'est précisément à ce stade de développement que l'adjectif s'est immiscé dans la langue russe. L'adjectif et l'adverbe qui en découle appartiennent à la catégorie des faux-amis stylistiques puisque ces mots ont la même signification (ou au moins un sens commun) mais appartiennent à différents registres dans les langues comparées: en français il est de style neutre, mais relève en russe du registre familier [Efremova, 2000].

b) Politique, économie, société

Rappelons que certains emprunts sont issus non de la langue conventionnelle, mais de l'argot français, comme `ýïàòàæ' (epataz). En russe, le terme qualifie le comportement sciemment choquant d'une personne qui contrevient aux normes sociales pour attirer l'attention. Au XIXe siècle en France, `faire de l'épatage ou de l'épate' signifie `agir en vue d'impressionner quelqu'un, de susciter l'admiration'. Littéralement, le mot signifie `casser le pied d'un verre': é-patter. Ce mot est utilisé dans le langage russe courant pour commenter une action en relation avec la politique ou avec l'art contemporain, par exemple.

L'» àæèîòàæ' (aziotaz) désigne une atmosphère d'excitation émotionnelle de masse consécutive à un événement. Cet emballement peut être soit spontané, soit provoqué dans le but de créer une hystérie collective. En français, l'agiotage est une manœuvre de spéculateur qui consiste à conserver des biens en comptant sur la hausse de leur prix sous le coup de l'inflation et qui a pour but de provoquer la hausse ou la baisse des valeurs mobilières ou des marchandises. Le terme, péjoratif, désigne par extension toute opération financière ayant un caractère teinté d'illégalité. Employé pour la première fois lors de la crise à Paris sous le règne de Louis XV, ce mot s'est répandu sous la Révolution française, qui a entraîné de graves difficultés financières. En russe, l'aspect financier est présent dans ce mot mais n'est pas le plus courant. Les lecteurs attentifs auront reconnu le principe métonymique de `la cause pour la conséquence': le signifié est identique en tous points, mais le signifiant s'élargit pour inclure d'autres acceptions.

En russe, `áàíêðîò' (bankrot) est un nom commun applicable à une personne qui a fait faillite et s'utilise couramment, tandis que le mot `banqueroute' est pour nous désuet. Le terme nous vient de l'Italie du XVIe siècle: à l'époque, les financiers officiaient dans les marchés où ils s'installaient derrière une table de comptoir qu'on appelait la banca (à l'origine du mot `banque'), qui leur permettait d'accueillir leurs clients et de négocier leurs affaires. Lorsqu'un banquier n'était plus en mesure de régler ses dettes, il était alors déclaré fallito (en faillite) et ne pouvait plus exercer son métier. Le banquier déchu devait alors casser publiquement sa banca pour indiquer aux habitants son interdiction d'exercer toute activité financière. En France, aujourd'hui, la banqueroute est une infraction consistant en des faits de gestion frauduleuse pour un commerçant, artisan, agriculteur ou dirigeant de société commerciale, alors qu'il est en état de cessation des paiements, mais nous avons tendance à oublier l'idée de faute pénale pour garder simplement celle d'échec. Le mot est en somme devenu synonyme de `débâcle': on peut parler de banqueroute non seulement économique mais aussi philosophique, politique, sociale.

Puisque nous sommes dans le domaine de la banque, précisons que pour faire des achats en Russie, on utilise des `êóïþðà' (kupûra), ce qui évoque le terme vieilli en français de `coupures', argent liquide. Pour conclure, mentionnons que `publicité' se dit `ðåêëàìà' (reklama), alors que nous le mot `réclame' ne résonne plus que faiblement dans nos vieux films français en noir et blanc.

Le mot `ëóíàòèê' (lunatik) désigne en russe un somnambule. Le dictionnaire étymologique de Vasmer indique simplement que ce mot est issu du latin `luna' [Vasmer 1996: 533]. Mais en français, d'après la définition du CNRTL, l'adjectif `lunatique' veut dire `influencé par la lune, qui présente certains aspects de la lune ou de son influence: aspect changeant, rêve, naïveté, folie'. Nous avons conservé le sens d'» humeur changeante', alors que le russe a gardé l'idée de `folie' et même de `possession par le malin', que l'on peut trouver en ancien français.

Cependant, le bijou de notre collection linguistique est très certainement l'adaptation et la productivité en russe du mot `figue'. On trouve à la fois la variante féminine `ôèãà' (figa) et masculine `ôèã' (fig). À l'origine le mot est un synonyme de `rien', mais depuis il exprime tout et son contraire: c'est sans conteste l'un des parasites les plus courant du russe contemporain. Un nombre incalculable de nuances émotionnelles peuvent être appuyées par ces trois petites lettres. En voici quelques exemples:

ñìîòðèò â êíèãó - âèäèò ôèãó (smotrit v knigu - vidit figu): quand il ouvre un livre, il ne voit rien - s'utilise à propos de quelqu'un d'ignorant

íè ôèãà (ni figa): grand étonnement, admiration; suivi d'un susbtantif, indique l'absence de quelque chose ou l'impossibilité de faire quelque chose

íè ôèãà ñåáå! (ni figa sebe): ah ben dis-donc! äî ôèãà (do figa), äîôèãèùà (dofigisa): une très grosse quantité

ôèã çíàåò ÷òî (figznaet cto): Dieu sait quoi ïîø¸ë íà ôèã! (posël na fig): va te faire voir! ôèã ñ íèì (fig s nim), ôèãóøêè (figuski): tant pis pour lui îôèãåòü! (ofiget'): incroyable! (interjection exprimant l'étonnement)

ïîôèãèçì (pofigizm): je-m'en-foutisme Ce mot vient du latin `ficus', mot qui a donné `le foie' en français. En effet, les Grecs engraissaient les oies en les gavant de figues, ce qui faisait surtout grossir leur foie. En grec, le verbe sykadzein `cueillir des figues' s'employait aussi pour dire `tâter, explorer', comme on tâte des figues pour voir si elles sont mûres, mais dans un sens érotique1. Comme bien des termes relevant du domaine sacré, la `figue' est naturellement devenue une expression vulgaire. Ainsi, l'expression `faire la figue' au Moyen-Âge s'accompagne d'un geste obscène: le pouce entre l'index et le majeur, forme médiévale du doigt d'honneur symbolisant le coït Pour les Grecs, cet organe était le centre vital du corps humain. C'est ce que rappelle le mythe de Prométhée, dont la punition pour avoir donné le feu aux hommes est d'avoir un ` foie immortel ' dévoré par un aigle pour l'éternité. De son côté, Platon établit un rapport étroit entre âme et foie, voyant en celui-ci une création divine qui permet à l'âme d'exercer l'activi-té de divination. Voir Platon, Timée, 71 a, d, éd et trad. Albert Rivaud, Paris, Les Belles Lettres, 1985 (Coll. des Universités de France), p. 198. Le sens sexuel du mot ` figue ' en grec est déjà attesté chez Aristo-phane, qui fait l'analogie de la figue avec l'organe sexuel féminin dans son ouvrage La Paix. Pour les Grecs anciens, la figue est un fruit qui ne fait pas la différence entre les sexes et renvoie aussi bien à l'un qu'à l'autre. Voir Co-médies d'Aristophane, Volume 2, La Paix, p. 315.. On en trouve les premières occurences en Russie peu de temps après. Cette expression aurait pour origine un fait historique rapporté par plusieurs auteurs Expression attestée dans le Roman de Jaufré, composé entre le XIIe et le XIIIe siècle. (Voir note de Clovis Brunel dans son édition de Jaufré, Paris, 1943, tome 2, au vers 2278)..

L'expression `faire la figue' veut également dire `mépriser, braver, se moquer de'. La Fontaine écrit dans sa fable La Chauve-Souris et les deux Belettes: `Plusieurs se sont trouvés qui, d'écharpe changeant, / Aux dangers, ainsi qu'elle, ont souvent fait la figue Jean DE LA FONTAINE, ` La Chauve-souris et les deux belettes '..'

Nous, Français, avons complètement oublié cette variante du doigt d'honneur, mais pas les Russes qui lui prêtent encore ce caractère à la fois émotionnel et sexuel, même s'il est aujourd'hui est en voie de disparition. Il est difficile d'expliquer comment le geste s'est répandu à l'époque, mais il est presque certain qu'il est plus ancien que le mot qui l'accompagne. Dans les traditions rurales, ce geste était en effet chargé d'une symbolique positive: il s'utilisait pour repousser les forces du mal et l'on pensait pouvoir reconnaître les sorcières grâce à lui. Dans la médecine populaire, le geste devait être accompagné d'une incantation versifiée et rythmée pour soigner certaines maladies.

Conclusion. Nous pouvons observer que la majorité des transformations sémantiques du lexique français passé dans la langue russe correspond bien à ce que Martel appelle des faux-emprunts ou des emprunts hybrides. Dans une figure de style, le signifié et le signifiant recouvrent deux réalités au sein d'un même espace linguistique. À travers cette étude, nous avons repris le mouvement des figures de style en les appliquant à deux réalités linguistiques différentes, chaque langue étant considérée comme un terme de la comparaison. Les effets d'extension du sens, de réduction, de rapprochement ou d'éloignement ont été mis en rapport avec le terme initial qu'est la langue française. Cette analogie a servi de point de départ à une analyse linguistique comparative des champs russes et français, mais aussi de grille de lecture culturelle à grande échelle. L'observation des évolutions sémantiques d'un mot entre les langues permet de mettre en relief tout un contexte, les causes de l'emprunt étant intimement liées aux conditions politiques et économiques. Selon Christiane Loubier, «la question de l'emprunt linguistique ne se pose pas d'une manière identique à l'intérieur de toutes les sociétés parce qu'elle ne suscite pas la même dynamique de rapports de forces et de pouvoir» [Loubier 2011: 11-16]. C'est toujours la langue dont le statut économique ou social est le plus faible qui emprunte massivement à la langue qui jouit du plus grand prestige et de la plus grande force économique. Dans les années où le français a commencé à s'inscrire dans la langue russe, la Russie n'avait pas encore de langue littéraire, écrite, propre à assurer le développement d'une culture nationale, qui est un «préalable à l'ouverture culturelle au monde extérieur» [Carrère d'Encausse 1993]. La langue française écrite, quant à elle, était alors formée depuis deux siècles et comptait déjà une langue orale et écrite unie et de nombreuses oeuvres littéraires, ce qui lui a donné les moyens de diffuser sa culture et de contribuer à dynamiser un autre système linguistique. Nous voyons qu'un large spectre d'enjeux culturels majeurs sont mobilisés à travers cette analyse linguistique. Ainsi, une telle méthode, que nous pouvons appeler hybride, à la croisée non seulement de la littérature et de la linguistique mais aussi de l'étymologie et de l'histoire, nous semble pouvoir être applicable avec succès pour d'autres recherches dans le domaine de la linguistique comparée ou de la culturologie.

Ëèòåðàòóðà

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